26

À la fin de la semaine, l’Union soviétique annonça qu’une mystérieuse explosion s’était produite à bord du satellite d’interception qu’ils avaient lancé pour photographier le satellite ETI. La puissance de la déflagration avait détruit les deux satellites. La cause de la formidable explosion était inconnue, mais on la supposait en rapport avec l’alimentation en combustible du satellite soviétique. Le Dr Moyashka avait ordonné une enquête approfondie.

Deux images seulement du satellite ETI avaient été transmises avant qu’il ne soit détruit ; de façon surprenante, elles le montraient grêlé et de toute évidence partiellement endommagé par les pluies de météorites. Ce que cela impliquait, déclara le Dr Moyashka, c’est que le satellite ETI avait couvert une distance considérable dans l’espace interstellaire avant d’atteindre sa position en orbite autour de la Terre. La conclusion selon laquelle il s’agissait d’un très vieux satellite, depuis longtemps sur orbite, fut rejetée comme non scientifique et en désaccord avec la dialectique marxiste-léniniste.

Et voilà, me dis-je en suivant le sujet aux informations télévisées. Ils ont bousillé Dieu, ou plutôt la voix de Dieu. Vox Dei, pensai-je. Désormais effacée du monde.

On devait fêter ça dans pas mal d’endroits, à Moscou.

Eh bien ! pensai-je tristement, une grande époque de l’histoire de l’humanité vient de toucher à sa fin. Rien ne nous instruira, il n’y a rien dans notre ciel pour nous remonter le moral quand nous sommes au plus bas, pour nous relever et nous maintenir en vie, pour soigner nos blessures. À Washington et Moscou, on déclare : « L’Homme est enfin devenu majeur ; il n’a pas besoin d’une aide paternaliste. » Ce qui est une autre façon de dire : « Nous avons supprimé cette aide, et pour la remplacer nous allons gouverner », sans offrir la moindre assistance ; prenant mais ne donnant rien, commandant mais n’obéissant pas, parlant mais n’écoutant pas, ôtant la vie mais ne la donnant pas. Ce sont les tueurs qui gouvernent désormais, sans ingérences dans leurs affaires ; les songes de l’humanité sont devenus creux.

 

Ce soir-là, alors que Rachel, Johnny et moi, ainsi que notre chat Pinky, étions couchés ensemble sur le grand lit de notre chambre, une lueur d’un blanc pâle apparut et se mit à envahir la pièce.

Étendu à ma place sur le lit, je réalisai que personne ne pouvait voir cette lueur pâle, sauf moi ; Pinky somnolait, Rachel somnolait, Johnny ronflait dans son sommeil. Moi seul, éveillé, vis la lueur grandir, et je vis qu’elle n’avait aucune source, aucune localisation ; elle emplissait pareillement tous les volumes et conférait à chaque objet une netteté saisissante. Qu’est-ce que c’est ? me demandai-je, et une peur viscérale s’empara de moi. C’était comme si la mort en personne avait pénétré dans la pièce.

La lumière devint si vive que je distinguais chaque détail de ce qui m’entourait. La femme qui dormait paisiblement, le petit garçon, le chat assoupi, ils semblaient gravés à l’eau-forte ou peints, incapables de bouger, impitoyablement révélés par la lumière. En outre, quelque chose baissait les yeux sur nous, qui gisions là comme sur une surface purement bidimensionnelle ; quelque chose qui voyageait et faisait usage de trois dimensions nous étudiait, nous, créatures limitées à deux. Il n’y avait nulle part où se cacher ; la lumière, le regard sans pitié étaient partout.

Nous passons en jugement, compris-je. La lueur a surgi d’un seul coup pour nous exposer, sans prévenir, et maintenant le juge nous examine à tour de rôle. Quelle sera sa décision ? Le sentiment de la mort, de ma propre mort, était profond ; j’avais l’impression d’être inanimé, fait de bois, d’être un jouet sculpté au ciseau et peint… Nous étions tous des joujoux ciselés pour le juge qui nous regardait d’en haut, et il pouvait soulever n’importe lequel d’entre nous – ou nous tous – et le détacher de notre surface peinte au moment où il le désirait.

Je me mis à prier en silence. Puis je priai à voix haute. Je priais, bizarrement, en latin – ce latin que je ne connaissais pas –, prononçant des expressions et des phrases entières, suppliant sans cesse que l’on m’épargne. C’était ça que je voulais. C’était ça que je demandais et demandais encore, dans de nombreuses langues maintenant, dans toutes les langues : que le juge m’ignore et me laisse aller.

La lumière pâle, uniforme, s’affaiblit petit à petit, et je songeai en mon for intérieur : c’est parce que le satellite a disparu. C’est pour ça. La mort a afflué pour combler le vide. Lorsque la vie a été anéantie, ce qui subsiste est inerte. Je suis en train d’assister au retour de la mort.

Le lendemain, Rachel remarqua que Pinky avait l’air malade ; il restait assis sans bouger et une fois, alors qu’il était assis, sa tête s’affaissa vers l’avant et heurta le plancher, comme sous l’effet d’une insupportable lassitude. En le voyant, je compris qu’il était en train de mourir. C’était lui que la mort avait réclamé, pas moi.

Je le conduisis à la clinique vétérinaire de Yorba Linda ; là-bas, les médecins conclurent qu’il avait une tumeur. Ils opérèrent tandis que je rentrais chez moi. « Nous pouvons probablement le sauver », me dirent-ils quand je partis, voyant à quel point j’étais démoralisé, mais je ne fus pas dupe. C’était là ce qui avait été inauguré, pour le monde entier ; la première victime était, bien sûr, la plus petite. Une demi-heure après que j’eus regagné l’appartement, une des vétérinaires téléphona. « C’est un cancer, me dit-elle. Il n’y a aucune fonction rénale, aucune production d’urine. Nous pouvons le raccommoder pour qu’il vive une semaine, mais…

— Il est encore sous anesthésie ?

— Oui, il est toujours ouvert.

— Laissez-le s’en aller », dis-je. À côté de moi, Rachel se mit à pleurer. Mon guide, pensai-je. Maintenant mort. Comme Charley. Regarde un peu toutes ces forces qui échappent désormais à tout contrôle dans le monde.

« Il devait y avoir un certain temps qu’il vivait avec ces tumeurs malignes en train de grossir, disait la veto. Il ne pèse pas assez et il est déshydraté, et…

— Il est mort hier soir », dis-je, et je pensai : Il a été pris à ma place. À ma place, ou à la place de Johnny ou de Rachel. Peut-être, songeai-je, voulait-il que ça se passe comme ça ; il s’était offert, en toute connaissance de cause. « Merci, dis-je. Je sais que tu as fait ce que tu as pu. Je ne t’en veux pas. »

Le satellite avait disparu de notre monde et, avec lui, les rayons qui guérissaient, semblables à ceux d’un soleil invisible, perçus par les créatures mais inaperçus et jamais reconnus. Le soleil qui avait la guérison dans ses ailes.

Mieux valait ne rien dire à Sadassa, décidai-je. Du moins de ce qui avait causé la mort de Pinky.

Ce soir-là, alors que je me brossais les dents dans la salle de bains, je sentis brusquement une main ferme, forte, se poser par-derrière sur mon épaule : l’étreinte d’un ami. Croyant que c’était Rachel, je me retournai. Et je ne vis personne.

Il a perdu sa forme animale, réalisai-je. Il n’a jamais été un chat. Les êtres surnaturels se font passer pour des créatures ordinaires, pour évoluer parmi nous, pour nous mener et nous guider.

Cette nuit-là, je rêvai qu’un orchestre symphonique jouait une symphonie de Brahms et que je lisais les notes sur la pochette de l’album. Les mots arrivaient à leur terme et il y avait un nom :

 

HERBERT

 

Mon ancien patron, pensai-je. Mort depuis toutes ces années à cause de ses problèmes cardiaques. Qui m’a appris ce que le sens du devoir voulait dire. Un message pour moi de sa part.

Après le nom apparut au même endroit une portée musicale tendue en boyau de chat, inscrite en creux dans le papier délicat comme par cinq griffes. La signature de Pinky ; après tout, Pinky ne savait pas écrire. Je songeai : Mon défunt patron, qui m’a tant appris et qui est mort, ressuscité sous les traits de Pinky ? Pour me conduire une fois encore puis s’en aller, comme avant ? Quand il ne pouvait pas rester plus longtemps… un ultime billet émanant de lui ou d’eux, peu importait. De mon ami. En tout cas, il m’avait guidé durant de nombreuses années ; il avait contribué à me former, puis il était mort.

Que Dieu soit avec lui, songeai-je dans mon sommeil, et j’écoutai la symphonie de Brahms qui sortait d’une cabine d’écoute chez University Music – la cabine numéro trois, derrière laquelle j’avais si souvent changé le rouleau de papier hygiénique dans les toilettes, dans le cadre de mon boulot, il y avait tant d’années. Mais il s’était manifesté à l’instant, m’empoignant l’épaule d’une main ferme avec affection. Pour me faire ses adieux.

Chez Progressive Records, nous avions commencé à faire des séances d’enregistrement pour le nouveau trente-trois tours – l’article du catalogue sur lequel nous introduirions les informations subliminales d’Aramchek, piste après piste. J’avais obtenu des huiles de la compagnie l’autorisation de donner mon matériel à graver aux Playthings ; les Playthings étaient notre nouveau groupe qui marchait le plus fort. Le seul truc qui me tracassait là-dedans, c’était les représailles qui pouvaient les frapper, une fois que les autorités auraient pris conscience de l’existence d’un matériel subliminal. Il serait nécessaire de mettre en place à l’avance un dispositif pour les disculper. Eux, et tous les autres chez Progressive.

Je rédigeai donc une série de mémos approfondis montrant que la décision concernant ce qu’ils enregistraient reposait entièrement entre mes mains, que j’avais obtenu et préparé les textes, que le groupe lui-même n’avait pas la moindre latitude pour supprimer ou modifier les paroles qu’il enregistrait – il me fallut presque deux semaines d’un temps précieux pour assurer leur sécurité, mais c’était essentiel ; Sadassa et moi étions d’accord là-dessus. Les représailles, lorsqu’elles seraient entamées, seraient de grande ampleur. Je détestais devoir impliquer les Playthings dans cette histoire, ne fût-ce qu’un peu ; c’était un groupe sympathique, qui ne voulait de mal à personne. Mais il fallait bien que quelqu’un enregistre les morceaux de l’album, quelqu’un de chez nous qui soit en vogue. Lorsque j’eus complété ma documentation, qui incluait des lettres signées des Playthings protestant contre les paroles qu’ils estimaient ne pas être faites pour eux, j’étais raisonnablement assuré qu’ils survivraient au bout du compte.

Un jour, alors que j’étais assis dans mon bureau à écouter les prises préliminaires destinées à l’album – qui devrait s’appeler Let’s Play ! –, mon intercom se manifesta.

« Une jeune dame qui désire vous voir, monsieur Brady. »

Supposant qu’il s’agissait d’une artiste venue solliciter une audition, je dis à la secrétaire dans l’antichambre de la faire entrer.

Une fille aux courts cheveux bruns et aux yeux verts entra, me souriant « Salut, fit-elle.

— Salut, dis-je, coupant l’enregistrement de Let’s Play ! Que puis-je faire pour vous ? demandai-je à la fille.

— Je suis Vivian Kaplan », dit-elle en s’asseyant. Je remarquai alors le brassard des APA, et je la reconnus ; c’était l’APA dont m’avait parlé mon ami Phil, celle qui avait voulu lui faire rédiger une déclaration de loyauté politique à mon sujet. Qu’est-ce qu’elle faisait là ? Sur mon bureau, sur le magnétophone à bandes Ampex portable, il y avait la bobine d’enregistrements de Let’s Play ! bien en vue devant la fille. Mais, heureusement, c’était éteint.

Une fois installée, Vivian Kaplan arrangea sa jupe, puis sortit un calepin et un stylo. « Vous avez une petite amie nommée Sadassa Aramchek, dit-elle. Et il y a l’organisation subversive qui s’est baptisée Aramchek. Et le satellite captif extraterrestre que les Soviétiques viennent de faire sauter a parfois été appelé le “satellite Aramchek”. » Elle me regarda, couchant quelques mots sur le papier. « Ça ne vous semble pas une coïncidence stupéfiante, monsieur Brady ? »

Je ne répondis pas.

« Désirez-vous faire une déclaration volontaire ? demanda Vivian Kaplan.

— Suis-je en état d’arrestation ?

— Non, absolument pas. J’ai tenté sans succès d’obtenir une déclaration de loyauté politique à votre sujet auprès de vos amis, mais aucun d’entre eux ne se souciait assez de vous pour souscrire à ma demande. En enquêtant sur vous, nous sommes tombés sur l’anomalie, le mot “Aramchek” apparaissant sans cesse en rapport avec vous…

— Le seul rapport que j’ai avec ce mot, coupai-je, c’est le nom de jeune fille de Sadassa.

— Il n’y a pas de rapport entre vous et l’organisation Aramchek ou le satellite ?

— Non.

— Comment se fait-il que vous ayez rencontré Mme Aramchek ?

— Je n’ai pas à répondre à ces questions, déclarai-je.

— Oh ! si, vous le devez. » De son sac à main, Vivian Kaplan tira une plaque d’identification noire. Déchiffrant celle-ci, je découvris qu’elle était un agent de police parfaitement authentique.

« Vous pouvez me parler ici dans votre bureau ou m’accompagner en ville. Qu’est-ce que vous préférez ?

— Puis-je appeler mon avocat ?

— Non. (Vivian Kaplan secoua la tête.) Ce n’est pas une enquête de ce genre – pas encore. Vous n’êtes accusé d’aucun crime. Dites-moi comment vous avez fait la connaissance de Sadassa Aramchek, je vous prie.

— Elle s’est présentée ici à la recherche d’un emploi.

— Pourquoi l’avez-vous engagée ?

— Elle me faisait pitié, à cause de son récent problème de cancer. »

Vivian Kaplan nota cela.

« Saviez-vous que son vrai nom était Aramchek ? Elle se fait couramment appeler Silvia.

— Elle s’est présentée à moi comme Mme Silvia. » Ça, on ne pouvait pas le contester.

« L’auriez-vous engagée si vous aviez connu son vrai nom ?

— Non. Je ne pense pas ; je ne suis pas sûr.

— Entretenez-vous une relation personnelle avec elle parallèlement à vos rapports professionnels ?

— Non, dis-je. Je suis marié et j’ai un enfant.

— On vous a vus ensemble au restaurant Del Rey et au La Paz Bar, tous deux à Fullerton ; une fois chez Del Rey et six au La Paz Bar, et tout cela récemment.

— Ils servent les meilleurs margaritas du comté d’Orange.

— De quoi parlez-vous tous les deux quand vous allez au La Paz Bar ? demanda Vivian Kaplan.

— De choses et d’autres. Sadassa Silvia…

— Aramchek.

— Sadassa est une fervente épiscopalienne. Elle a tenté de me convertir pour que je rejoigne son Église. Elle me raconte tous les cancans de clocher, d’un autre côté, et ça a tendance à me refroidir. » Ça aussi, c’était vrai.

« Nous avons enregistré votre dernière conversation au La Paz Bar, annonça Vivian Kaplan.

— Oh ! » fis-je avec crainte, cherchant à me rappeler ce que nous avions dit.

« Qu’est-ce que c’est que ce disque que vous allez sortir ? Vous avez beaucoup insisté sur ce sujet. Un nouveau trente-trois tours des Playthings ?

— Ce sera notre prochain disque à succès », dis-je ; je sentais la sueur perler à mon front et mon pouls accélérer. « Tout le monde en parle chez Progressive.

— C’est vous qui avez fourni les paroles de l’album ?

— Non. Juste le matériel additionnel, pas l’essentiel des textes. »

Vivian Kaplan consigna tout cela.

« Ça va être un sacré disque, dis-je.

— Oui, c’est ce qu’on dirait, à vous entendre. Vous allez en presser combien d’exemplaires ?

— Nous espérons en vendre deux millions. Le pressage initial ne sera que de cinquante mille, toutefois. Pour voir comment ça se passe. » En fait, j’avais prévu de leur en faire presser trois fois cette quantité.

« Quand pourrez-vous en mettre un exemplaire à notre disposition ?

— Nous n’avons pas encore réalisé l’original.

— Une bande, alors ?

— Ouais, nous pourrions vous passer une bande plus tôt. »

Il me vint à l’esprit que je pourrais lui fournir une bande d’où le matériel subliminal serait absent ; nous n’aurions qu’à ne pas ajouter la piste avec les sons trafiqués.

« Selon nous, déclara Vivian Kaplan, une fois les preuves examinées, il est clair que vous avez une relation d’ordre sexuel avec Mme Aramchek.

— Eh bien ! fis-je, vous pouvez vous foutre votre avis dans le cul. »

Vivian Kaplan me considéra pendant un certain temps ; puis elle écrivit quelques mots avec son stylo.

« Il n’y a que moi que ça regarde, dis-je.

— Qu’en dit votre femme ?

— Elle dit qu’il n’y a pas de problème.

— Elle est au courant, alors ? »

Je ne trouvai aucune réponse à ça. Je m’étais fourré dans un piège verbal, mais un piège qui n’avait pas de sens ; ils suivaient la mauvaise piste, complètement, pensai-je. Ils ont le mauvais ballon ; laissons-les courir vers la mauvaise ligne de but. Impeccable. : « Pour autant que nous puissions l’affirmer, déclara Vivian Kaplan, vous avez totalement rompu vos liens avec votre passé de gauchiste à Berkeley. Est-ce bien le cas, monsieur Brady ?

— C’est le cas, dis-je.

— Voudriez-vous établir une déclaration de loyauté politique au sujet de Mme Aramchek pour nos dossiers ? Étant donné que vous la connaissez et que vous pouvez parler d’elle sérieusement ?

— Non.

— Nous avons une grande confiance en vous, monsieur Brady, en ce qui concerne votre patriotisme.

— Vous devriez.

— Pourquoi voudriez-vous perdre cette occasion de confirmer votre réputation ? Cela permettrait pratiquement de clore votre dossier.

— Aucun dossier n’est jamais clos, dis-je.

— Inactif, alors.

— Navré », fis-je. Depuis que l’auxiliaire ETI s’était substitué à ma propre volonté, il m’était difficile de mentir.

« Je ne peux pas vous être utile. Ce que vous désirez est mauvais et immoral ; c’est ce qui détruit le tissu de notre société. L’espionnage mutuel des amis par les amis est la plus insidieuse des atrocités que Ferris Fremont ait infligées à un peuple autrefois libre. Vous pouvez noter cela, mademoiselle Kaplan, et le mettre dans mon dossier ; mieux encore, vous pouvez le coller sur la couverture de mon dossier comme la déclaration officielle que je vous fais à tous. »

Vivian Kaplan rit. « Vous devez avoir l’impression d’être soutenu par un vraiment bon avocat.

— J’ai l’impression de vraiment bien saisir la situation, dis-je. Maintenant, si vous avez terminé, sortez de mon bureau. J’ai des bandes à écouter. »

Se levant, Vivian Kaplan demanda : « Quand aurez-vous la bande pour nous ?

— Dans un mois.

— Est-ce que ce sera la bande dont vous vous servirez pour le transfert sur l’original ?

— Plus ou moins.

— Plus ou moins, ça ne suffit pas, monsieur Brady. Nous voulons la bande-étalon exacte.

— Bien sûr, fis-je. Tout ce que vous voudrez. »

S’attardant un instant, Vivian Kaplan ajouta : « Un de vos ingénieurs du son nous a refilé un tuyau par téléphone. Il a dit qu’il y avait vraiment des drôles de trucs sur la piste auxiliaire.

— Hmmm, fis-je.

— Ça a éveillé ses soupçons.

— De quel ingénieur du son s’agit-il ?

— Nous protégeons l’anonymat de nos informateurs.

— Vous faites bien.

— Monsieur Brady, fit brusquement Vivian Kaplan, je désire vous informer dès maintenant que vous êtes terriblement, terriblement près de vous faire arrêter, vous et Mme Aramchek, toute votre maison de disques, en fait, ainsi que tous ceux qui vous sont intimement liés, vos familles et vos amis.

— Pourquoi ?

— Nous avons des raisons de croire que des sentiments subversifs seront exprimés dans l’album Let’s Play !, introduits par vous, Mme Aramchek et peut-être d’autres personnes. Nous vous accordons le bénéfice du doute, toutefois ; nous allons examiner le disque avant sa sortie et, si nous n’y trouvons rien, vous serez autorisés à le faire paraître à la date programmée et à le distribuer comme prévu. Mais, après analyse, si nous trouvons quoi que ce soit…

— Le rideau descend, dis-je.

— Pardon ?

— Le Rideau de Fer.

— Que voulez-vous dire par là, monsieur Brady ?

— Rien. Je suis simplement fatigué de toute cette suspicion, de tout cet espionnage et de toutes ces accusations. De toutes ces arrestations et de tous ces meurtres.

— Quels meurtres, monsieur Brady ?

— Le mien, dis-je. C’est à ça que je pense tout particulièrement. »

Elle rit. « Vous êtes extrêmement névrosé, comme l’indique votre profil. Vous vous faites trop de souci. Vous savez ce qui vous tuera, monsieur Brady, si quelque chose doit vous tuer ? C’est de vous envoyer en l’air avec cette Mlle Aramchek à votre âge. La dernière fois que vous avez subi un examen médical, vous aviez une tension artérielle élevée ; c’était quand on vous a admis à l’hôpital de Downey à la suite de…

— La hausse de tension, dis-je, était due à… » Je m’interrompis.

« Oui ?

— Rien. »

Vivian Kaplan laissa passer un moment de silence, puis parla d’une voix basse, calme. « Vous ne pouvez plus compter sur l’aide du satellite, monsieur Brady. Ils ont eu le satellite.

— Je sais, dis-je. Vous voulez parler du satellite ETI ? Oui, les Russes ont abattu celui-là, j’ai vu ça à la télé.

— Vous êtes livré à vous-même, maintenant.

— Que voulez-vous dire ?

— Vous comprenez très bien ce que je veux dire.

— Pas du tout », parvins-je à articuler ; mentir exigeait un effort, un épouvantable effort. Je me faisais violence. J’en étais à peine capable.

« Je croyais que la position officielle des États-Unis à propos du satellite était qu’il… Quelles conneries ai-je entendues ? “Un satellite à nous au rebut ?” ou un truc dans ce genre-là. Pas originaire d’outre-espace, sans intérêt. Nos propres signaux périmés en train de nous revenir.

— C’était avant que l’Union soviétique le photographie.

— Oh ! fis-je en hochant la tête. Alors maintenant la ligne a changé.

— Nous savons ce qu’était ce satellite, déclara Vivian Kaplan.

— Alors comment avez-vous pu le détruire ? Quel genre d’esprit dérangé a pu donner le signal de sa destruction ? Je ne vous comprends pas. Vous ne me comprenez pas et je ne vous comprends pas. Pour moi, vous êtes folle. » Je m’arrêtai ; j’en avais trop dit.

« Vous avez envie qu’une entité extraterrestre régisse votre esprit ? Vous dise ce que vous avez à faire ? Vous avez envie d’être esclave de…

— Mais qu’est-ce que vous croyez que vous êtes, madame Kaplan ? C’est ce que sont les APA, une bande de robots qui reçoivent aveuglément leurs ordres et qui s’en vont aveuglément contraindre quiconque n’est pas déjà pris dans la nasse à devenir un robot semblable à eux, se conformant tous à la volonté du leader. Et quel leader !

— Au revoir, monsieur Brady », dit Vivian Kaplan, et la porte de mon bureau se referma derrière elle ; elle était partie.

Je viens de me passer la corde autour du cou, me dis-je. Comme Phil l’avait fait avec elle ; elle semble avoir un don pour pousser les gens à le faire d’une manière ou d’une autre. Phil l’a fait d’une certaine manière, moi d’une autre. J’espère qu’ils lui versent un bon salaire, pensai-je. Elle le mérite. Elle pourrait piéger n’importe qui.

Ils en ont assez long sur moi, réalisai-je, pour me faire arrêter n’importe quand. Mais ils en ont toujours eu assez long. Ça ne fait aucune différence. Ils ont enregistré notre conversation au La Paz Bar ; ils ont tout ce qu’il leur faut. Et la procédure régulière, les garanties constitutionnelles, ne sont de toute façon plus respectées ; on invoque toujours le problème de la sécurité nationale dans des cas comme ça. Alors merde. Je suis content d’avoir dit ça. Je n’ai rien perdu que je n’avais déjà perdu.

Il ne reste pas grand-chose qui n’ait déjà été perdu, me dis-je. Maintenant que le satellite a disparu.

Dans mon esprit, l’incandescent s’agita ; je sentis sa présence. Il était toujours vivant, toujours en moi. Caché à l’abri du danger : en sécurité.

Je n’étais pas complètement seul. Vivian se trompait.

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